L’ éloge de la fatigue
Vous me dites, Monsieur, que j'ai mauvaise mine,
Qu'avec cette vie que je mène, je me ruine,
Que l'on ne gagne rien à trop se prodiguer,
Vous me dites enfin que je suis fatigué.
Qu'avec cette vie que je mène, je me ruine,
Que l'on ne gagne rien à trop se prodiguer,
Vous me dites enfin que je suis fatigué.
Oui je suis fatigué, Monsieur, mais je m'en flatte.
J'ai tout de fatigué, le cœur, la voix, la rate,
Je m'endors épuisé, je me réveille las,
Mais grâce à Dieu, Monsieur, je ne m'en soucie pas.
J'ai tout de fatigué, le cœur, la voix, la rate,
Je m'endors épuisé, je me réveille las,
Mais grâce à Dieu, Monsieur, je ne m'en soucie pas.
Et quand je m'en soucie, je me ridiculise.
La fatigue souvent n'est qu'une vantardise.
On n'est jamais aussi fatigué qu'on le croit !
Et quand cela serait, n'en a-t-on pas le droit ?
La fatigue souvent n'est qu'une vantardise.
On n'est jamais aussi fatigué qu'on le croit !
Et quand cela serait, n'en a-t-on pas le droit ?
Je ne vous parle pas des tristes lassitudes
Qu'on a lorsque le corps harassé d'habitude,
N'a plus pour se mouvoir que de pâles raisons...
Lorsqu'on a fait de soi son unique horizon...
Lorsqu'on n’a rien à perdre, à vaincre, ou à défendre
Qu'on a lorsque le corps harassé d'habitude,
N'a plus pour se mouvoir que de pâles raisons...
Lorsqu'on a fait de soi son unique horizon...
Lorsqu'on n’a rien à perdre, à vaincre, ou à défendre
Cette fatigue-là est mauvaise à entendre ;
Elle fait le front lourd, l'œil morne, le dos rond.
Et vous donne l'aspect d'un vivant moribond...
Elle fait le front lourd, l'œil morne, le dos rond.
Et vous donne l'aspect d'un vivant moribond...
Mais se sentir plier sous le poids formidable
Des vies dont un beau jour on s'est fait responsable,
Savoir qu'on a des joies ou des pleurs dans ses mains,
Savoir qu'on est l'outil, qu'on est le lendemain,
Des vies dont un beau jour on s'est fait responsable,
Savoir qu'on a des joies ou des pleurs dans ses mains,
Savoir qu'on est l'outil, qu'on est le lendemain,
Savoir qu'on est le chef, savoir qu'on est la source,
Aider l’existence à continuer sa course,
Et pour cela se battre à s'en user le cœur...
Cette fatigue-là, Monsieur, c'est du bonheur !
Aider l’existence à continuer sa course,
Et pour cela se battre à s'en user le cœur...
Cette fatigue-là, Monsieur, c'est du bonheur !
Et sûr qu'à chaque pas, à chaque assaut qu'on livre,
On va aider un être à vivre ou à survivre ;
Et sûr qu'on est le port et la route et le guet,
Où prendrait-on le droit d'être trop fatigué ?
On va aider un être à vivre ou à survivre ;
Et sûr qu'on est le port et la route et le guet,
Où prendrait-on le droit d'être trop fatigué ?
Ceux qui font de leur vie une belle aventure,
Marquent chaque victoire, en creux, sur la figure,
Et quand le malheur vient y mettre un creux de plus
Parmi tant d'autres creux il passe inaperçu.
Marquent chaque victoire, en creux, sur la figure,
Et quand le malheur vient y mettre un creux de plus
Parmi tant d'autres creux il passe inaperçu.
La fatigue, Monsieur, c'est un prix toujours juste,
C'est le prix d'une journée d'efforts et de luttes.
C'est le prix d'un labour, d'un mur ou d'un exploit,
Non pas le prix qu'on paie, mais celui qu'on reçoit.
C'est le prix d'une journée d'efforts et de luttes.
C'est le prix d'un labour, d'un mur ou d'un exploit,
Non pas le prix qu'on paie, mais celui qu'on reçoit.
C'est le prix d'un travail, d'une journée remplie,
Et c'est la preuve aussi qu’on vit avec la vie.
Et c'est la preuve aussi qu’on vit avec la vie.
Quand je rentre la nuit et que ma maison dort,
J'écoute mes sommeils, et là, je me sens fort ;
Je me sens tout gonflé de mon humble souffrance,
Et ma fatigue alors c’est une récompense.
J'écoute mes sommeils, et là, je me sens fort ;
Je me sens tout gonflé de mon humble souffrance,
Et ma fatigue alors c’est une récompense.
Et vous me conseillez d'aller me reposer !
Mais si j'acceptais là, ce que vous proposez,
Si je m'abandonnais à votre douce intrigue...
Mais je mourrais, Monsieur, tristement... de fatigue.
Mais si j'acceptais là, ce que vous proposez,
Si je m'abandonnais à votre douce intrigue...
Mais je mourrais, Monsieur, tristement... de fatigue.
Texte de Robert Lamoureux
ROSE ORANGE 1
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